Je suis tombée en amour pour les paons. Pour la beauté des paons. Quand je vois une belle photo de paon, je ne peux pas m'empêcher de l'enregistrer et de la conserver.
Et l'autre jour sur France Inter, j'ai entendu la voix magique de Guillaume Gallienne dans son émission "Ca peut pas faire de mal". Il parlait de l'écrivaine que je n'ai jamais lu : Flannery O'Connor. Ce bougre, je pourrai l'écouter des heures. J'aime l'entendre et j'aime sa façon de lire. C'est un doux régal. Et là, double régal puisqu'il a dit un texte sur les paons.
Vous pouvez réécouter l'émission en podcast :
""J’avais cinq ans lorsqu’il m’arriva quelque chose qui devait me marquer pour la vie. Pathé Journal avait dépêché un photographe de New York à Savannah pour photographier une de mes poules. Sa renommée s’était répandue dans la presse, mais dès l’instant où elle eut capté l’attention des Actualités Pathé, j’imagine qu’il ne lui restait plus nulle part où aller. Elle mourut peu après. C’est après la visite du photographe de Pathé que j’ai entrepris de faire la collection de poules rares. Ce qui n’était qu’une fantaisie anodine est devenu une passion, une quête. Il m’en fallait toujours davantage. Quel que soit son but véritable, ma quête m’a finalement amenée aux paons.
Pour déployer sa queue, le mâle se secoue violemment jusqu’à ce qu’elle s’ouvre telle une corolle autour de lui. Puis, avant même qu’on l’ait vu faire, il pivote sur lui-même pour ne plus montrer que son dos. Certains croient voir là une insulte, d’autres une lubie. L’explication est simple à mes yeux : c’est que le paon est aussi satisfait des deux côtés de sa personne. Quand le paon se présente de dos, le spectateur essaie souvent de le contourner pour l’observer de face, mais le paon continue à pivoter, si bien que c’est impossible. La seule chose à faire est de ne pas bouger et attendre qu’il se retourne de son plein gré. Quand il le veut bien, il vous fait face. Alors vous pouvez voir, auréolés sous la voûte vert-bronze qui l’encercle, toute une constellation de soleils qui dardent sur vous leurs flammes.
« Amen ! Amen ! » s’est écriée un jour une vieille femme noire, et j’ai souvent entendu des exclamations analogues à cet instant où l’inadéquation du langage humain est flagrante. Certains sifflent, d’autres pour une fois se taisent. Un camionneur qui conduisait un chargement de foin a lancé en voyant un paon pivoter sous ses yeux au milieu de la route : « Zyeutez-moi c’t enflé là ! », freinant si brutalement qu’il a failli renverser sa cargaison de foin. Un paon qui fait la roue n’a jamais bougé d’un pouce devant un camion, un tracteur ou une voiture. C’est au véhicule de lui céder le pas. Aucun des miens ne s’est jamais fait écraser.""